On nous avait prévenu que les transports de nuit n’étaient pas très surs, surtout pour 2 femmes voyageant seules avec des enfants : nous serions des cibles évidentes pour une population nocturne assez désespérée pour nous soutirer nos bagages – qui ne constituent pas pourtant une manne véritablement intéressante.

Notre avion au départ de Buenos Aires décollait à 4h du matin ce qui signifiait d’être au moins présents sur les lieux vers 3h.

Nous avons donc résolu de prendre tranquillement le bus depuis chez notre hôte jusqu’à l’aéroport des vols domestiques ( pas celui par lequel nous étions arrivés mais un autre, en bord de mer, bien plus proche du centre ville ) en fin d’après-midi afin d’arriver en début de soirée à notre dernière destination portogène.

A mi-chemin nous avons fait une pause empenadas pour nous restaurer avant la nuit, et par une confusion des serveurs, nous sommes partis, après avoir terminé nos 4 chaussons assis au frais, avec de nouveau un sac à emporter de la même commande …

Nous l’avons fait remarquer au restaurateur qui, bon prince, nous a suggéré de les garder.

Gabriel a été ravi d’en déguster un 2eme , mais nous ne nous sentions pas de transporter ce sac chaud – d’autant que c’est sans doute bien moins bon à consommer froid.

Au coin de notre arrêt de bus, Gabriel nous avait demandé ce qui était écrit sur le panneau du monsieur qui demandait l’aumône au feu rouge. Je n’avais pas eu besoin de lire pour comprendre : les lésions de Kaposi rayait ses mains et ses joues.

C’est régulièrement que je partage de la nourriture en France avec des personnes qui quêtent.

Leurs réactions sont assez mitigées. Les jeunes punks à chien sont plutôt souriants et contents d’avoir autre chose à absorber que de la bière, certains plus âgés ont l’air blasés et se fendent à peine d’un merci audible ( je n’attend pas de la gratitude mais juste un minimum de politesse, je trouve que c’est plus cordial ) quand certains ne jettent tout simplement pas à la poubelle ce qu’on leur offre. Ce qui a le don de passablement m’énerver, moi qui suis si attentive au gaspillage et qui généralement me prive de quelque chose pour leur faire partager : un paquet de biscuits ne m’est pas indispensable, quand bien même c’est un petit plaisir que je m’accorde rarement, en revanche pour certain de ceux qui dorment dehors c’est sans doute vital d’avoir une dose de sucre et de douceur de temps à autre.

Mais le sourire et le regard de sincère gratitude de cet homme quand on lui a posé le sac tout chaud dans les mains était si pénétrant que cela m’a fait oublier tous les bougons auxquels j’ai pu avoir à faire et a fini de me convaincre ( s’il y a avait encore besoin ) que nous étions sur la bonne voie.

Le partage et l’entraide en France ne sont pas assez présents dans nos mœurs individualistes et surtout ce sont des valeurs qui sont actuellement décriées de tous côtés et ramenées à du snobisme d’intellectuels assistés.

Sauf que sur ce continent, ça ne se passe pas comme ça. Entre les expériences partagées des voyageurs que nous avons pu croiser et notre propre vécu dans ce voyage, le constat a été clair.

Rien que nos hôtes, par exemple : ils disposaient de très peu de ressources et ils étaient typiquement de ceux qui n’auraient pas du pouvoir ouvrir leur porte à une famille de 4 personnes, et pourtant ils n’ont pas hésité. Dès que l’on avance vers un bus ou un métro, nous voyons tous les gens se lever pour laisser une place assise à Eliott ; dans chaque petit commerce, il y a toujours quelque chose à faire goûter aux enfants, spontanément, même si nous n’y consommons pas. Et ce comportement n’est pas lié qu’au fait que nous soyons des touristes, ici c’est la norme de favoriser les plus faibles dans les lieux communs et les faire sentir à l’aise, nous avons pu noter ce comportement envers des personnes handicapées, lourdement chargées, parfois juste fatiguées.

En restant donc sur nos gardes – car il ne faut pas faire d’angélisme et toute grande ville , si bienveillants que soient ses habitants, comporte son lot de délinquants et de criminels - nous allons tout du moins pouvoir baisser un peu notre vigilance à un niveau raisonnable, car les consignes de sécurités prodiguées de partout avant notre départ nous avaient rendues presque paranoïaques !


C’est ainsi que, confiantes, nous nous apprêtâmes à passer une nuit à l’aéroport.

Pas une nuit de transit, non, bien une nuit à dormir – camper – dans les lieux.

J’avais lu sur le net que c’était une pratique courante des grands voyageurs car c’est moins aléatoire qu’on ne pourrait le penser, et cela économise, au mieux, une nuitée d’hôtel passablement écourtée, au moins, un taxi de nuit ( moins sécure pour le coup ).

Arrivés au premier étage, juste avant les contrôles de sécurité, et grâce aux indications des agents de voyage du rez de chaussée, nous avons trouvé un couloir en cul de sac, derrière un magasin et un restaurant sur le point de fermer boutique. Juste en face d’un policier qui faisait sa ronde. Par acquis de conscience, je suis allée lui demander si l’on avait le droit de se poser là pour dormir , il m’a dit qu’il n’y avait pas de problème, que c’était le coin parfait, calme, peu éclairé, et que les annonces de vols s’arrêteraient assez vite.

Nous avons donc déroulé nos sacs de couchage, enfilé les pyjamas des petits et regroupé nos sacs à nos têtes, et c’était parti pour une courte -mais assez reposante – nuit de sommeil.



Seule Marion a été gênée par un courant d’air ( elle devait être à proximité d’une bouche de climatisation ) mais nous autres avons dormi comme des bébés, jusqu’à 3h du matin.

Au réveil, nous avons noté que deux hommes ( un jeune backpacker comme nous et un monsieur en costume, manifestement prêt pour aller travailler ) nous avait rejoints, à distance respectable , dans le couloir, tous deux dans ou sur leur sac de couchage.

A notre passage, le policier en faction nous a demandé si on avait bien dormi.

Puissions-nous avoir toujours des rapports aussi cordiaux avec les forces de l’ordre durant ce voyage !